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Méli-mélo >  Portraits de jardiniers >  Une Jardinière débutante

Article publié le 16 novembre 2016 et visité 2357 fois.

Après avoir mis au monde trois filles en trois ans, Elisabeth Von Arnim trouve refuge dans une propriété familiale au fin fond de la Poméranie. Elle se prend alors d’une véritable passion pour la nature et décide de restaurer le jardin abandonné :

"Une petite véranda mène par un escalier de bois branlant vers la seule partie du jardin qui ait jamais été vraiment entretenue. Dans un demi-cercle bordé de troènes, au milieu de la pelouse, je découvris onze plates-bandes de différentes dimensions disposées autour d’un très ancien cadran solaire moussu pour lequel j’ai beaucoup d’affection. Ces plates-bandes étaient le seul signe visible de jardinage en ce jardin (à l’exception d’un crocus solitaire qui fleurissait chaque printemps sans l’avoir vraiment désiré _ mais que pouvait-il faire d’autre ?). J’y plantais partout des volubilis après avoir lu dans un manuel de jardinage allemand qu’ils étaient capables de transformer le désert le plus lugubre en véritable paradis. Le manuel les recommandait avec une chaleur vraiment communicative. Dans mon ignorance des quantités à utiliser j’en achetai dix livres, que je ne plantai pas seulement dans les onze plates-bandes, mais autour de presque tous les arbres, puis attendis, très agitée, l’apparition du paradis promis. Jamais celui-ci ne daigna se montrer et ce fut ma première leçon.

Par chance, j’avais aussi planté deux grands carrés de pois de senteur mêlés de lys blancs qui suffirent à mon bonheur pendant tout l’été, ainsi que quelques tournesols et des roses trémières sous les fenêtres de l’aile sud. Quand les lys moururent, je fus affreusement dépitée. Comment aurais-je pu deviner qu’ainsi vont les lys ? Quant aux roses trémières, elles furent si vilaines que mon premier été n’eut pour tout décor et embellissement que les seuls pois de senteur."

Au 19è siècle, n’est pas jardinière qui veut : pauvre épouse d’aristocrate contrainte de tenir son rang et de garder la face devant les domestiques ! Pas question pour elle de s’abaisser à travailler le sol et pourtant ... :

"Si seulement je pouvais manier moi-même la bêche et le plantoir ! Comme il serait plus facile, et plus exaltant, de creuser ses propres trous exactement à l’endroit où on le souhaite, au lieu de donner des ordres qui ne sont jamais compris qu’à moitié, dès l’instant où l’on s’éloigne des alignements tracés par ce maudit cordeau ! Tout en proie au bonheur de posséder mon propre jardin, et très impatiente de voir fleurir les lieux les plus désolés, il m’est arrivé un beau dimanche d’avril dernier, durant le repas des domestiques, de me glisser hors de la maison armée d’une pelle et d’un rateau et de bêcher fiévreusement un petit carré de terre afin d’y planter quelques volubilis avant de revenir en toute hâte m’effondrer sur une chaise, rouge et confuse, et de me cacher derrière un livre pour préserver ma réputation d’honnête femme. Et pourtant ... Sans doute cette activité manque-t-elle de grâce _ on y devient si rouge _, mais elle est bénie de Dieu. Si Eve avait disposé d’une bêche au Paradis, et avait su s’en servir, cette malheureuse affaire de pomme et de serpent n’aurait jamais eu lieu."

Elisabeth Von Arnim : Elisabeth et son jardin allemand ; réédité en 10/18 en 1996. Une lecture pleine de charme et d’esprit.

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